Recommandations

PISTES DE RECCOMANDATIONS

Les processus mis à jour dans cette recherche nous engagent à soutenir des changements concrets du côté des pratiques et des discours qui, à terme, transformeront les représentations et rendront inutiles les réglementations aujourd’hui nécessaires. En plus des chiffres, étape indispensable, un travail en profondeur sur la prise de conscience des dynamiques structurelles en matière de relations sociales qui traversent la société semble donc également indispensable. Il s’agit dès lors de travailler sur les rapports de pouvoir, les peurs et les logiques d’intérêts au sein du secteur et de la société ainsi que sur les logiques institutionnelles, avec cette volonté d’instaurer d’autres dynamiques, de proposer d’autres modes de gouvernement davantage horizontaux, pluriels, collaboratifs, participatifs… 

Le milieu des arts de la scène, vécu par certain.e.s, comme celui de l’oppression peut aussi être et/ou devenir le lieu du changement. Le théâtre est potentiellement un espace de libération de la parole, d’expérimentations et de créations plurales à condition de s’ouvrir à la diversité des profils et des théâtralités. Les écoles d’art sont aussi des espaces potentiels de rencontre et d’ouverture à l’altérité amenant leurs lots d’interrogations des prétendues évidences (les fonctionnements normalisés) et de remises en question.

  1. Mettre au travail les représentations, les préjugés et les stéréotypes via des processus de visibilisation

Proposer une juste représentation de la société dans sa pluralité apparaît aujourd’hui comme un passage obligé. Ces présences, ces narrations, ces regards viendront à leur tour, par leur visibilité, travailler les imaginaires ; mais aussi à partir de postures singulières, proposer d’autres contenus, d’autres types de fonctionnements. 

À titre d’exemple, au théâtre, au cinéma, la présence de personnages féminins, en quantité, mais aussi en qualité, c’est-à-dire, la présence de personnages complexes, de tout âge, mais aussi non-blancs et non stéréotypés outre ses effets en termes d’équité participe largement du travail des imaginaires. De manière générale, d’autres narrations, d’autres regards, d’autres visages ; d’autres chemins sont non seulement possibles, mais indispensables. 

  1. Penser les questions d’égalité en termes de rééquilibrage sociétal et de justice sociale plutôt que de « diversité » 

En effet, la question de la diversité telle qu’actuellement pensée renvoie à l’idée des « autres », sous-entendu les « non majoritaires », les « racisé.e.s », et à leur présence/absence, plutôt qu’à la question des inégalités en soi. C’est un changement d’approche qui est ici proposé où il ne s’agit plus de faire de la place (entendu comme une faveur) à une ou deux personnes « issues de la diversité », voire à certains collectifs, ni de cocher toutes les cases dans une logique à la « United Colors of Benetton », mais de produire de véritables politiques publiques antidiscriminatoires à visée d’équité et de justice sociale et de la sorte, d’imaginer le concret d’une société au fonctionnement égalitaire et inclusif. Pour ce faire, il s’agit notamment de donner les moyens à toutes et tous de travailler, de créer et de diffuser leurs œuvres dans de bonnes conditions.   

  1. Mettre au travail les représentations, les préjugés et les stéréotypes via des processus pérennes de formations 

Les stéréotypes, le sexisme, le classisme, le validisme, le racisme, etc. sont profondément inscrits dans la société et ses structures mentales. Transformer les rapports de pouvoir, les habitudes, les privilèges, les non-dits, les routines, les mentalités n’a rien d’évident. Des formations, à minima, sur les questions de discriminations, de sexismes, de racismes devraient être imposées, et ce de façon pérenne, à toutes les personnes en position de pouvoir dans le secteur. 

  1. Dans les écoles d’art, s’informer et se former sur les questions discriminatoires et travailler sur les modalités pédagogiques 

De manière spécifique, dans les écoles d’art, il semble aujourd’hui indispensable de donner, à la fois aux étudiant.e.s et aux professeur.e.s, des clefs de compréhension des structures sociétales et des mécanismes de reproduction des inégalités. Les dimensions de veille collective et de relais via les réseaux sociaux, la question des formations notamment du corps professoral par rapport aux questions de discriminations genrées et raciales, le travail sur les enjeux de langage et communicationnels, l’ouverture à d’autres registres narratifs (matrimoine, littératures postcoloniales, littératures non eurocentrées…), les transformations des modalités pédagogiques, notamment sur les questions de consentement, sont autant de leviers mis en avant par les étudiant.e.s et certaines professeures.

  1. Dans les lieux d’apprentissage, de création et plus largement de travail, établir des chartes de façon transparente et collaborative à visée régulatrice (modalités de vivre ensemble non discriminatoires)

La création de chartes dans tous les lieux, des écoles, aux théâtres, en passant par les espaces culturels…, avec suivis de mises en œuvre est aujourd’hui indispensable. Des documents guides ainsi que des possibilités de soutien et de formation devraient être fournis afin que chaque lieu, dans une véritable dynamique participative puisse co-écrire sa charte, avec modalités de mises en œuvre et de suivis effectifs. Notons qu’instaurer une dynamique véritablement participative malgré les rapports de pouvoir inhérents aux mondes institutionnels serait déjà une expérience de transformation en soi. Ces processus d’élaboration de chartes, pour importants qu’ils soient, devraient néanmoins être considérés comme des étapes en faveur du changement et non comme un aboutissement, gardant à l’esprit l’ambition de réels changements structurels et à long terme.

  1. Mettre en place des tiers-lieux de recours en cas d’abus, avec mécanismes de suivi des plaintes 

Sur les questions discriminatoires (notamment sur les questions de sexisme et de violences sexuelles, de harcèlement, de racisme et de validisme), des lieux de recours, effectifs, efficients et accessibles sont indispensables et reposent sur une série de conditions nécessaires à leur bon fonctionnement : un véritable pouvoir d’action (et de sanction), des espaces de parole sécurisés et indépendants, des mécanismes de médiation et de réparation, la garantie d’une non-stigmatisation des membres et des victimes.

  1. Mettre en place des mécanismes d’encouragement à l’équité, la parité et à la pluralité avec effets de contrainte 

Au niveau des rapports de classe, même si bien entendu, les socialisations, les discriminations scolaires et les habitus culturels freinent les possibles, une amélioration de la diversité concernant l’origine socio-économique s’observe grâce à la mise en place de bourses d’études. Par ailleurs, le projet pilote des classes préparatoires, actuellement dans sa première année (2022-2023), sera à évaluer en temps voulu. Outre les possibilités de suivre des études, le potentiel rôle des écoles dans la préparation à la carrière, au-delà de la formation artistique en tant que telle, est important. Malgré l’existence du CAS (Centre des Arts Scéniques), le manque de suivi et de soutien des étudiant.e.s fraîchement sorti.e.s nous est raconté.

Quant aux enjeux de parité et de pluralité, même si sensible, le ressort des quotas nous a été présenté comme un outil transitoire devant être accompagné cela dit d’un travail de fond ; notamment en repensant le fonctionnement et la composition des équipes de direction, des CA, des différentes commissions, mais également des concours d’entrée dans les écoles et des auditions, ainsi que les critères d’attribution de subsides, de bourses, de prix. 

De plus, des commissions plurielles, des modalités de fonctionnement plus transparentes, moins verticales, un rééquilibrage des commissions de recrutement, d’attribution de subsides… avec objectif de parité et de diversité sociale et ethnoraciale, mais aussi culturelle, permettraient un rééquilibrage progressif au sein du secteur sans que les protagonistes aient à endosser le poids d’un choix potentiellement biaisé, ce qui aurait pour effet de les libérer des soupçons d’illégitimités et d’incompétences, actuels freins au changement.  

  1. Soutenir les collectifs émergents et les dynamiques de transformation sociale, les espaces de luttes, de pensées et de créations alternatifs, mais également créer les conditions d’une possible rencontre 

Si beaucoup reste à inventer, des nombreuses dynamiques de changement sont en cours. Des démarches et personnalités brisent en ce moment même les plafonds et les chaînes. Demain déjà s’invente, avec ceci dit, souvent très peu de moyens, de soutiens et de visibilité. 

Par ailleurs, s’énoncent tout à la fois le besoin d’espaces de discussion et de luttes sécurisés qui doivent parfois passer par la « non-mixité », qu’elle soit raciale ou genrée, étape dans la lutte qui permet de parler plus librement et justement des discriminations et inégalités vécues, sans craindre de devoir se justifier, dans un cadre relativement sécurisé, et, la nécessité d’espaces de dialogue en respect et en confiance de chacun.e. 

Enfin, travailler sur les présupposés, les méconnaissances et les peurs réciproques, ainsi que sur les tensions, notamment genrées et générationnelles, apparaît également comme indispensable. 

  1. Instituer et financer une veille statistique pérenne sur les questions d’inégalités

Sur le terrain se font sentir les changements induits par la prise de conscience des inégalités mises en lumière par les études et les veilles statistiques. Outre le fait qu’il soit fondamental et indispensable en matière d’orientation de politiques publiques d’avoir une connaissance fine du secteur et de garder traces des changements et des évolutions dans le temps long ; ces données participent aussi de la conscience d’un paysage et ont des effets performatifs. Afin de permettre la pérennité de ces veilles statistiques, une prise en charge annuelle par un organisme public semble indispensable.       

  1. Soutenir des recherches plurielles et qualitatives sur, avec, depuis le milieu des arts de scène 

Enfin, notre rapport montre que de très nombreuses thématiques ici esquissées demanderaient à être poursuivies afin d’avoir une meilleure connaissance des dynamiques en cours. Le différentiel de genre observé dès l’entrée dans les écoles serait important à analyser en profondeur. Saisir avec finesse les abandons et les réorientations au fil des trajectoires, depuis déjà les temps de formation, serait également un lieu clef d’observation qui permettrait de saisir avec finesse les difficultés rencontrées en tension avec les logiques passionnelles et vocationnelles. Au niveau des mécanismes discriminatoires, de nombreux lieux restent à investiguer, notamment les lieux de pouvoir (les équipes de direction, des CA, des différentes commissions d’attribution de subsides, de bourses, de prix…), mais également, a contrario, les lieux où s’inventent d’autres modalités de création et de vivre ensemble plus égalitaires, au fait des discriminations. La question des narrations (dominantes et subalternisées) et de leurs incidences sur les imaginaires est également une zone peu éclairée des travaux en cours. Les publics restent eux aussi très largement sous-étudiés.   

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